ENTRETIEN. Guerre en Ukraine : quelle est la position de la Chine, un an après le début de l'invasion russe ?
"Cesser les hostilités", "lancer les pourparlers de paix", "respecter la souveraineté de tous les pays" et "renoncer à la mentalité de la guerre froide". Les autorités chinoises ont rendu public, vendredi 24 février, un document résumant "la position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne", un an après le début de l'invasion russe de l'Ukraine. Ce document "n'est pas un plan de paix", a réagi le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, tout en déclarant ne pas souhaiter le "rejeter". "La Chine réaffirme les positions exprimées depuis le début", a-t-il souligné, notant que pour que ce document soit "crédible", des représentants chinois devraient se déplacer à Kiev.
Comment interpréter le positionnement de la Chine à l'égard de l'invasion russe de l'Ukraine ? Quels sont les objectifs de Pékin et quel est son rapport à la Russie ? Franceinfo a interrogé Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique et enseignant à Sciences Po, auteur de l'article "Pékin et le conflit ukrainien : un opportunisme pragmatique" (réservé aux abonnés) paru dans la revue Politique internationale.
Franceinfo : Comment interprétez-vous cette publication de la Chine en vue du "règlement politique" de la guerre en Ukraine ? Volodymyr Zelensky, avant de lire ces propositions, a salué le fait que "la Chine commence à parler de l'Ukraine et envoie certains signaux", mais Pékin continue, par exemple, d'employer le terme "crise ukrainienne" plutôt que de parler de guerre...
Antoine Bondaz : Il faut déjà les relativiser, car ce n'est pas la première fois que la Chine fait des propositions sur le sujet. L'aide humanitaire, la question nucléaire, la souveraineté des Etats, l'appel à un cessez-le-feu… Tous ces éléments avaient déjà été exprimés, mentionnés de manière directe ou indirecte par Pékin. Il n'y a pas non plus de proposition concrète dans ces douze points.
Il faut noter également que la Chine n'est pas neutre. Elle met sur une forme de fausse équivalence la Russie et l'Ukraine, mais Pékin continue de refuser de parler de guerre et refuse toujours de condamner la Russie. Ses propos, dans le texte, sur l'"intégrité, l'indépendance et l'intégrité territoriale de tous les pays" sont un élément de langage utilisé depuis le début de la guerre.
"Il ne s'agit pas de condamner la Russie – la Chine le dirait – mais de se protéger sur la question de Taïwan."
Antoine Bondazà franceinfo
Il s'agit d'une manière de dire aux Occidentaux : "Comment pouvez-vous appeler au respect de l'intégrité de l'Ukraine, alors que vous violez l'intégrité de la Chine en vous rapprochant de Taïwan ?" Or, Taïwan n'a jamais fait partie de la République populaire de Chine, alors que la Crimée et le Donbass font partie de l'Ukraine. Il s'agit de fausses équivalences utilisées par la Chine et qu'il faut déconstruire.
On ne peut dissocier le document de vendredi matin de "l'initiative de sécurité globale" présentée mardi à Pékin, après une première présentation en avril 2022. Il s'agit de promouvoir auprès de partenaires non-occidentaux des initiatives sino-centrées, des cadres alternatifs pour façonner la sécurité internationale au profit de Pékin. La Chine ne souhaite pas jouer le rôle de pays médiateur dans la guerre en Ukraine, elle veut apparaître comme une puissance responsable. Elle ne soutient pas ouvertement la Russie, son objectif est de paraître responsable et de se différencier des Etats-Unis.
A la parution du texte, vous avez expliqué sur Twitter que de nombreux éléments de ces 12 points étaient des critiques visant les Etats-Unis...
Il faut bien le comprendre, tout le texte est une critique des Etats-Unis. La Chine présente Washington comme étant responsable de la poursuite du conflit et se présente elle-même comme une puissance responsable appelant à la paix. Quand Pékin dit qu'il faut "s'abstenir de mettre de l'huile sur le feu et d'aggraver les tensions" ou déclare que "les questions humanitaires ne doivent pas être politisées", il s'agit d'une critique des Etats-Unis. La Chine dit également qu'elle "s'oppose à la recherche et développement et à l'utilisation des armes chimiques et biologiques par quelque pays que ce soit". Depuis le début de la guerre, un effort de désinformation chinois vise à répandre la rumeur de laboratoires américains travaillant sur des armes biologiques en Ukraine.
Les autres propos chinois sur "la mentalité de la guerre froide" sont une critique classique des Etats-Unis, pas du tout une critique de la Russie. Egalement, le fait de "ne pas rechercher la sécurité d'un pays au détriment de celle des autres, ni garantir la sécurité d'une région par le renforcement, voire l'expansion des blocs militaires"... Il y a aussi une critique de l'Otan, l'idée d'une Alliance atlantique qui s'est élargie au détriment de la Russie. L'idée que les Occidentaux ne prendraient pas en compte les intérêts légitimes de sécurité des autres pays est encore un autre élément de langage de la Chine.
"Ce qui se joue dans cette guerre, pour la Chine, n'est pas centré sur l'Ukraine. Ce qui se joue, c'est l'évolution de la rivalité sino-américaine."
Antoine Bondazà franceinfo
Comment la Chine peut-elle instrumentaliser le conflit pour discréditer les Etats-Unis auprès de pays non-occidentaux et de sa propre population ? Car si la Chine est médiatrice et si responsable dans ce conflit, pourquoi Xi Jinping n'a-t-il pas encore rencontré Volodymyr Zelensky ?
Il y a quelques jours, Wang Yi, ancien chef de la diplomatie chinoise et directeur du bureau central des affaires étrangères du Parti communiste chinois, a rencontré Vladimir Poutine à Moscou. Si Washington est vu comme un rival de Pékin, la Russie et la Chine sont-elles pour autant des pays alliés ?
Il ne s'agit pas d'alliés, mais d'un partenariat stratégique. Il s'agit d'une convergence d'intérêts politiques entre deux régimes autoritaires. Deux régimes pour qui leur sécurité est la priorité... Et la Chine n'est pas une menace pour le régime russe, tout comme la Russie n'est pas une menace pour le régime chinois. Chine et Russie ne sont pas parfaitement alignées, mais ces deux pays sont très proches. Il y a une vraie proximité stratégique, qui repose sur une convergence d'intérêts politiques.
La visite de Wang Yi à Moscou s'inscrit dans la continuité de cette relation. Le rapprochement s'est accéléré en 2014 avec l'annexion de la Crimée par la Russie, puis avec le tournant autoritaire en Russie et en Chine. Il y a également eu la déclaration sino-russe de Pékin, le 4 février 2022, et depuis, Pékin et Moscou continuent de se rapprocher. A ce stade, il n'y a aucune raison pour que la Chine se distance de la Russie.
Le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, a d'ailleurs récemment déclaré craindre que la Chine fournisse des "armes" à la Russie. Une enquête du journal allemand Der Spiegel suggère qu'une entreprise chinoise envisage de livrer des drones "kamikazes" à Moscou pour son offensive en Ukraine... Quel regard portez-vous sur ces informations ? Cela ne marquerait-il pas un tournant dans le positionnement chinois ?
Les propos d'Antony Blinken sont une manière de mettre en garde la Chine, mais aussi de rappeler aux Européens que la Chine est un problème, de lier la question russe à la question chinoise.
Quel serait l'intérêt pour la Chine de livrer quelques armes ? Si elle livre 100 drones, cela ne va pas changer radicalement la guerre. Et tout son discours de puissance responsable, qui ne livre pas d'armes, s'effondrera. Elle s'exposera également à des actions... Quel serait intérêt, pour livrer 100 drones ? Une entreprise privée chinoise a pu demander cette autorisation, mais je doute que la Chine pense livrer des armes. Soit il s'agira d'une livraison massive, ce qui permettrait à la Russie de gagner, soit Pékin ne fera rien. Pour Pékin, est-ce que le coût de l'aide à la Russie dépasse le bénéfice de ne rien faire ? La Chine a peut être un intérêt à aider la Russie, mais il faut penser au coût pour la Chine.
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